Bienvenue sur À l’affiche - un regard sur la musique, le cinéma et le théâtre, un blog pour les passionnés des arts. Le mot juste en anglais (LMJ), le blog que j’ai lancé en 2010, aura désormais deux frères cadets : celui-ci, À l’affiche, et CLIO la muse de l’histoire, un blog pour les passionnés de l'histoire. Vous pouvez accéder à Clio et à LMJ en cliquant sur leurs titres dans l’espace jaune ci-dessous.
Charles Spencer Chaplin, Jr., dit Charlie Chaplin, (1889-1977) est un écrivain, acteur, réalisateur, producteur, scénariste, monteur et compositeur britannique.
Par son jeu de mime et de clownerie, il est devenu l'un des acteurs les plus populaires d'Hollywood où il a réalisé des courts puis des longs métrages qui l'ont rendu célèbre.
Charlie Chaplin fut l'un des personnages les plus créatifs du cinema muet. Sa carrière, qu'il débute dans le music-hall en Angleterre, a duré plus de 75 ans.
Son personnage, Charlot pour les francophones, The Tramp dans les pays anglo-saxons, s'inspire de l'acteur burlesque français, Max Linder (Gabriel-Maximilien Leuvielle). Le personnage créé par Chaplin est aujourd'hui universellement connu : celui d'une sorte de vagabond, dont le chapeau melon, la canne, les chaussures trop grandes, le pantalon tombant et trop large, les cheveux frisés et la petite moustache sont devenus le symbole de l'art cinématographique.
Chaplin débuta sa carrière cinématographique au temps du cinéma muet. [1] Ses films les plus connus sont probablement le « Pèlerin » et les « Temps modernes ». (Parmi les autres citons : Charlot soldat, Le Kid, La Ruée vers l'or, Le cirque, Les lumières de la ville, Monsieur Verdoux et le Dictateur).
Le thème mélodique du film « Les temps modernes », Smile, dont il avait composé la musique, a été repris par des chanteurs aussi divers qu'Elvis Costello, Barbara Streisand, Josh Groban et Michael Jackson. Le frère de celui-ci, Germaine Jackson, l'a chanté lors des funérailles de Michael. Voici la version de Nat "King" Cole :
Chaplin a été marié quatre fois. Sa dernière épouse s'appelait Oona O'Neil [2], [3]. En dépit d'une grande différence d'âge entre les deux époux (lorsqu'ils se sont mariés, il avait 54 ans et Oona O'Neill en avait 18), ils ont eu huit enfants. Elle ne s'est jamais remariée après le décès de Charlie.
Le couple Chaplin avec leurs premiers six enfants
Chaplin s'engage politiquement dans certaines de ses œuvres, qui étaient des satires de la société des années 1930. Des films comme Les Temps modernes ou Le Dictateur sont des critiques de la société de consommation et du travail à la chaîne, dans le premier cas, et des régimes politiques totalitaires qui s'installent en Europe, dans le second. Par ces films, Chaplin affirme son engagement politique dans la société de son temps. Charlie Chaplin et sa famille retournent à Londres pour promouvoir le nouveau long métrage, « Limelight » (Les Feux de la rampe), après avoir été accusé de prendre des positions communistes aux États-Unis, en 1952, et avoir figure sur la « liste noire de Hollywood », à l'époque du maccarthisme.Profitant de l'occasion, le gouvernement américain lui interdit de revenir aux États-Unis, en annulant son visa. Il renonce alors à résider aux Etats-Unis et installe sa famille en Suisse, au Manoir de Ban, à Corsier-sur-Vevey, où il vit encore pendant 20 ans et où il sera enterré en 1977. [4 ]
timbre britannique, 1999
timbre américain, 1991
Parmi les citations que l'on attribue à Chaplin, figurent:
« En gros-plan, la vie est une tragédie, mais, en prise à distance, c'est une comédie »
« Une journée sans rire est une journée fichue »
« L'échec est sans importance. Il faut du courage pour faire l'idiot »
Il existe de nombreuses biographies de Chaplin, tant en français qu'en anglais, dont
Sir Charlie: Chaplin, the Funniest Man in the World », par Sid Fleischman et publiée en juin 2010. Elle s'adresse aux enfants de 9 à 12 ans
British Legends : « The Life and Legacy of Charlie Chaplin (Kindle), publié par Charles River Editors en 2013
My Autobiography », écrite en collaboration avec David Robinson, est parue chez Penguin Classics et, en édition française, sous le titre « Histoire de ma vie », aux éditions Robert Laffont, 2002.
Chaplin Today: Limelight - Full Documentary with Bernardo Bertolucci
Pierres tombales de Charlie & Oona Chaplin à Corsier-sur-Vevey
Stèle de Charles Chaplin dans le Parc Chaplin, à Corsier-sur-Vevey
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[1] Un film sonore est un film muni d'une bande son synchronisée, ou dont le son est techniquement couplé à l'image, par opposition à un film muet. La première projection publique connue de films sonores eut lieu à Paris en 1900. Le «système Phono-Cinéma-Théâtre", fut mis au point par Clément-Maurice Gratioulet et Henri Lioret en France.
Il permit la présentation de courts extraits de pièces de théâtre, d'opéra et de ballet à l'Exposition universelle de Paris en 1900, où de simples films (avec son synchronisé) de Sarah Bernhardt et bien d'autres furent réalisés .. Mais des décennies s'écoulèrent avant que les films sonores ne soient commercialisés. Des innovations dans ce domaine conduiront à la première projection commerciale de courts-métrages en 1923.
Les premiers jalons de la commercialisation du cinéma parlant furent posés vers le milieu et la fin des années 1920. Dans un premier temps, les films sonores incluant un dialogue synchronisé (plus connus sous le nom de « films parlants ») ne furent que des courts-métrages. Les premiers longs métrages avec band son ne comprenaient que la musique et des effets sonores. Le premier long métrage présenté à l'origine comme un film parlant fut "The Jazz Singer", sorti en Octobre 1927. Paradoxalement, c'est un film muet français, « The Artist » qui en 2011 remporte l'Oscar pour le meilleur film de l'année, ainsi battant tous les films concurrents sonores. L'Oscar a été récompensé à Hollywood, le bastion de l'industrie cinématique et le symbole du dessus (au moins commercial) des films américains sur la base des innovations française des frères Lumière, Clément-Maurice Gratioulet et Henri Lioret, qui remontent a l'annee 1900, comme exposé au-dessus.[2] la fille de l'auteur dramatique Eugene O'Neill, prix Nobel de littérature en 1936. O'Neill réprouva le mariage de sa fille avec Chaplin. "Dans la vie, il y a déjà assez de comédie pleine d'ironie comme cela," déclara-t-il.
[3] La fille d'Oona et de Charlie est la comédienne anglo-américaine Géraldine Chaplin (née en 1944). Sa propre fille Oona Castilla Chaplin (née en 1986), de nationalité espagnole, est elle aussi comédienne.
Trois générations de Chaplin dans les films
[4] L'auteur britannique, Graham Greene, et l'acteur britannique, James Mason, sont également enterrés dans le même cimetière.
[5]
- Ce que j'admire le plus dans votre art, dit Einstein, c'est son universalité. Vous ne dites pas un mot, et pourtant... le monde entier vous comprend.
- C'est vrai, répondit Chaplin. Mais, votre gloire est plus grande encore : le monde entier vous admire, alors que personne ne vous comprend !
Cité dans Les Nouvelles trimestrielles des Anciens de l'OMS, n°91, avril 2013, p.8.
Nous sommes heureux de retrouver Elsa Wack, notre linguiste du mois de janvier 2014. Elsa, née à Genève, est traductrice indépendante de l'anglais et de l'allemand vers le français. Titulaire d'une licence ès lettres, ayant aussi fait de la musique, du théâtre et du cinéma, elle aime écrire et sa préférence va aux traductions littéraires.
J’imagine que tout un chacun est persuadé que la musique qu’il a entendue dans les années de ses amours adolescentes est la plus belle qui ait jamais existé et qui existera jamais. Tel est aussi mon cas et la période concernée se situe entre 1968 et 1972. La notion même de groupe était nouvelle et se voulait anti-autoritaire, même si le groupe avait généralement un leader, souvent investi de la fonction mélodique : chant ou guitare solo. L’organiste aussi pouvait être prééminent, il avait une fonction mystique dans des groupes comme King Crimson. C’est l’instrument planant par excellence. Il y a aussi eu des bassistes et des batteurs charismatiques : Paul McCartney, bassiste-chanteur des Beatles, Robert Wyatt, batteur-chanteur-organiste de Soft Machine, Roger Waters, bassiste-chanteur de Pink Floyd. Dans divers groupes, les instruments s’interchangeaient. La batterie a également toujours son côté mystique, soutenant la transe des publics danseurs.
Le groupe était aussi un idéal de communauté à une époque où la communauté familiale s’était réduite à la taille de son noyau (« famille nucléaire »).
En Amérique, le groupe des Beach Boys et son principal élément Brian Wilson faisaient du studio un instrument de musique à part entière et Jimi Hendrix réinventait le solo de guitare, instrument qui dans le jazz avait une fonction plutôt rythmique.
The Beach Boys
Brian Wilson
Alors qu’auparavant la santé des artistes était surtout menacée par l’alcool ou les médicaments dérivés de l’opium, cette période a coïncidé avec la propagation des drogues psychédéliques. La consommation de drogues diverses représentait une sorte de rituel initiatique de passage à l’âge adulte et marquait une fracture violente entre générations.
La gloire des groupes pop de cette période a été le plus souvent éphémère. Balayés au fur et à mesure par le « star system », ils ont connu l’ascension, l’apogée et la dissolution ou le déclin en l’espace de quelques années. Dans Pink Floyd, Syd Barret, le fondateur du groupe, est rapidement devenu schizophrène à la suite de la consommation de LSD, alors que le bassiste Roger Waters a été pris de mégalomanie et de cette autre folie qu’est l’antisémitisme. John Lennon a été tué par un de ses fans, et Robert Wyatt, de Soft Machine, s’est jeté par la fenêtre et a perdu l’usage de ses deux jambes à la suite d’un badtrip d’alcool (ou de LSD selon la légende). En Amérique, Lou Reed et John Cale, du Velvet Underground, vécurent pour ainsi dire le déclin avant l’apogée, puisqu’ils étaient tous deux héroïnomanes dès le départ et se sont sevrés en cours de route.
Les nouvelles drogues se reflétaient dans certains styles de ces musiques : les amphétamines (speed) dans le hard rock généralement rapide et martial de Deep Purple et de Led Zeppelin ; l’acide (lysergique, LSD) et le cannabis dans la pop psychédélique de Pink Floyd, des Beatles, de Soft Machine (improbables précurseurs du jazz-rock). La musique planante de groupes comme Pink Floyd devrait théoriquement refléter l’héroïne, mais en réalité les musiciens du groupe, à ma connaissance, n’en prenaient pas. On parle plutôt d’alcool pour Roger Waters ; quant aux drogues psychédéliques, les membres de Pink Floyd en avaient été vaccinés par la folie où avait brutalement sombré le fondateur Syd Barret. Les héroïnomanes et cocaïnomanes les plus célèbres de cette période restent le bassiste et le chanteur des Rolling Stones, qui sont pourtant d’une grande longévité. Leur batteur Charlie Watts, plus âgé qu’eux et moins porté sur les excès, est décédé en 2021 à 90 ans. La musique des Stones avait toutefois pâti de la mort de Brian Jones, fondateur du groupe, noyé dans sa piscine en 1969 déjà. Il était alcoolique, prenait des amphétamines et des somnifères.
On pourrait croire à lire ces lignes que le monde entier était composé de drogués et d’alcooliques entre 1968 et 1972. Il n’en est rien ; mais c’est le milieu où je naviguais, et tout comme mes diverses amours étaient toutes de cet acabit, les groupes que j’aimais étaient constitués d’anges déchus.
La satire était présente, par exemple, dans les musiques des Kinks et du Velvet Underground, qui jouaient sur les deux tableaux : elles se moquaient de ce qu’elles incarnaient, et de jolies mélodies et harmonies étaient mises au service de l’humour noir et de textes corrosifs.
Procol Harum 2001
D’un autre côté, un romantisme exacerbé était présent dans les slows des Moody Blues, de Led Zeppelin et de Procol Harum, pour ne citer qu’eux. Les deux danses types de cette époque, le jerk rapide et le slow, expriment un équilibre nécessaire de toute éternité entre largo et allegro. Alors que le jerk se dansait individuellement, pour le slow, il y avait un aspect « peloteur », et le choix et l’accord du ou de la partenaire étaient cruciaux.
Si le jazz, le blues et le rock étaient des sources ouvertement revendiquées, il ne faut pas sous- estimer l’influence et l’utilisation de la musique classique, surtout dans la pop anglaise qui a été qualifiée de rock progressif : à témoin les premiers albums de Deep Purple, avant que le chanteur Evans et le bassiste Simper soient éjectés du groupe et alors que l’organiste John Lord laissait encore s’exprimer sa brillante formation classique. Le chanteur et leader de Jethro Tull, Ian Anderson, jouait brillamment de la flûte classique, tout comme l’organiste-chanteur Ian Mc Donald aux tout débuts du groupe King Crimson ; c’était l’époque où un autre chanteur multi-instrumentiste, Greg Lake, en faisait aussi partie. Des groupes comme Pink Floyd et Deep Purple tentèrent l’expérience de se produire avec des orchestres philharmoniques, et les Beatles, sous l’influence de leur arrangeur George Martin, recoururent en studio à divers instruments classiques, comme la trompette dans Penny Lane. Des emprunts à Jean-Sébastien Bach sont à signaler dans la musique des Beatles et du groupe Procol Harum. On pouvait emprunter à gauche et à droite avec une liberté que nous ne connaissons plus aujourd’hui.
Tous ces genres pouvaient se mélanger allègrement sur certains albums d’un même groupe. Les albums étaient de qualité inégale, combinant parfois de longues plages d’improvisation indigeste, quoique favorable au voyage intérieur, à des envolées d’une beauté extraordinaire (Moon in June sur Soft Machine III). Il fallait guetter les perles dans l’océan vaseux. Il arrivait aussi que les seuls morceaux de qualité soient le premier et le dernier de l’album (qui pouvait compter de 1 à 7 titres par face).
Les noms des groupes et les pochettes des disques étaient colorés (purple, crimson, pink…) et auréolés de légende. Pink Floyd ne signifiait pas du tout « flamant rose », comme on a pu le lire dans la presse de l’époque : il est formé des prénoms de deux bluesmen, Pink Anderson et Floyd Council. Procol Harum était le nom d’un chat et veut dire à peu près « chat errant loin ». Beatles est une contraction de beat (mouvement culturel, politique et vagabond) et de beetle, un scarabée. Jethro Tull était le nom d’un noble anglais, inventeur du semoir au XVIIIe siècle. The Soft Machine (La Machine molle) est le titre d’un livre de l’écrivain américain héroïnomane William Burroughs. Moody Blues, selon Wikipedia, fait écho au standard de jazz Mood Indigo de Duke Ellington ; à ne pas confondre avec la chanson Deep Purple, que Léo Marjane avait chantée en français sous le titre « Soir Indigo » et qui inspira le groupe de hard rock. Le nom du groupe Iron Butterfly est un oxymore qui reflète le côté hard/heavy en même temps qu’aérien de leur musique.
Les voix des chanteurs (à cheveux longs) étaient souvent aigües, mais là encore un équilibre s’avérait nécessaire. Dans le Velvet Underground, à l’inverse, la chanteuse de passage Nico plongeait dans les graves. Robert Wyatt (Soft Machine) et Robert Plant (Led Zeppelin) sont des hautes-contre. Dans les Beatles, Paul (ténor) et John (plutôt baryton) avaient de grandes tessitures qui leur permettaient d’assurer parfois une voix de basse. Ringo Starr, qui chantait légèrement faux et ne composait pratiquement rien, était essentiel dans le groupe pour d’autres raisons.
Le mot pop lui-même est riche en connotations : la première qui vient à l’esprit est « popular », populaire, mais pop est aussi proche de bop, un courant de jazz des années cinquante qui faisait la part belle à l’improvisation. Bebop n’en est pas très éloigné, syllabes de chant scat qui ont martelé le rock’n’roll de Gene Vincent, par exemple (be-bop-a-lula). Enfin, on peut penser au coquelicot poppy, cousin du pavot (opium poppy).
Le vinyle des disques que nous achetions alors se rayait, se cassait, mais ne s’effaçait pas – et la musique qui y a été gravée conserve toute sa puissance évocatrice.
Des articles supplémentaires rédigés par Elsa Wack:
L'article qui suit a été rédigé par notre contributrice fidèle, Elsa Wack, traductrice litteraire, dont les contributions précédentes sont accessible ici,ici et ici.
Chez Brassens, (22.10.1921 - 29.10.1981) les mots viennent avant la musique. Il a appris à les lire, il a vu sa mère d’origine italienne copier des multitudes de textes de chansons. La musique, c’était le genre de carrière qui lui faisait peur pour son fils. Elle lui a refusé des cours. Ce mauvais élève est autodidacte : « Je n’ai eu que mon oreille. » C’est à 18 ans qu’il apprend le piano, avec une méthode, et à 24 ans qu’il reçoit une guitare. Un instrument plus proche pour lui de la chanson italienne (celle dite « napolitaine ») qui marque son style ; pourtant, il compose souvent d’abord au piano.
Les mots viennent en français. Elvira, sa mère, est elle-même née à Sète (autrefois Cette), qui compte une très forte proportion d’Italiens immigrés parmi lesquels baigne (et se baigne) Georges. L’origine d’Elvira est la Sicile ; elle est très pieuse et croyante.
Jean-Louis, le père de Georges, lui, est libre-penseur et anticlérical. Il chante aussi.
Elvira & Jean-Louis
Ce mariage d’opposés se retrouve dans la personnalité de Brassens et dans son rapport ambivalent à la religion. Brassens était anarchiste, co-fondateur de l’éphémère « Parti Préhistorique », résolument opposé au confort. Il ne voulait pas d’enfants (« Je ne serais pas capable de m’occuper d’un foyer »), a eu peu de compagnes, généralement plus âgées que lui ; chez Jeanne Planche, à l'impasse Florimont, Paris, où il a vécu 22 ans, il fait ménage à trois avec elle et son mari dans une maison qui reste longtemps sans eau courante, électricité ni gaz, mais peuplée d’innombrables animaux.
À son autre amie de cœur, Joha dite « Pupchen », avec qui il ne vivra jamais, il a écrit la chanson « La non-demande en mariage » :
J’ai l’honneur de ne pas te demander ta main Ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin
Aux humains, peut-être Brassens préférait-il les animaux (cane, gorille, cheval de ses chansons) et les arbres :
Auprès de mon arbre, je vivais heureux J’aurais jamais dû le quitter des yeux
Et pourtant Dieu n’est pas absent de ses chansons :
Puis j’ai déchiré sa robe Sans l’avoir voulu Le bon Dieu me le pardonne Je n’y tenais plus Qu’il me le pardonne ou non D’ailleurs je m’en fous J’ai déjà mon âme en peine Je suis un voyou
Ou encore :
Toi l’Auvergnat, quand tu mourras, Quand le croque-mort t’emportera Qu’il te conduise à travers ciel Au Père éternel
Sans parler de la chanson « Prière », qui reprend le poème « Rosaire » du catholique Francis Jammes (sortez vos mouchoirs) :
Par le petit garçon qui meurt près de sa mère Tandis que des enfants s’amusent au parterre Et par l’oiseau blessé qui ne sait pas comment Son aile tout à coup s’ensanglante et descend Par la soif et la faim et le désir ardent, Je vous salue, Marie.
Par les gosses battus, par l'ivrogne qui rentre Par l'âne qui reçoit des coups de pied au ventre Et par l'humiliation de l'innocent châtié Par la vierge vendue qu'on a déshabillée Par le fils dont la mère a été insultée, Je vous salue, Marie
Par la vieille qui trébuchant – sous trop de poids S'écrie "mon Dieu !" par le malheureux – dont les bras Ne purent s'appuyer sur une amour humaine Comme la Croix du Fils sur Simon de Cyrène Par le cheval tombé sous le chariot qu'il traîne, Je vous salue, Marie.
Sur la même mélodie, Brassens a chanté précédemment un poème du communiste Aragon : « Il n’y a pas d’amour heureux ».
Incroyant ? « Pour la première fois, ce soir, elle me voit chanter », a-t-il dit lors du concert qu’il a donné à Marseille après la mort de sa mère.
Dans les chansons posthumes de Brassens, celles qu’il n’avait pas eu le temps d’enregistrer avant sa mort, et qui ont été interprétées ensuite par son secrétaire artistique, Jean Bertola, il y a « Le Sceptique », où il évoque religion, paradis, chiromancie etc., avec toujours pour refrain :
Je ne crois pas un mot de toutes ces histoires
Mais il ne peut s’empêcher d’ajouter, en guise d’épilogue :
Mais j’envie les pauvres d’esprit pouvant y croire !
Ce sont des alexandrins. La diction de Brassens était belle ; le vers n’est pas toujours coulé dans le moule trop strict qui place la césure au milieu : Brassens casse parfois le rythme sans vergogne, écoutant le sens : « Par la vieille qui trébuchant – sous trop de poids… » ; dans le vers suivant, il appuie sur le « ma » de « malheureux » plutôt que d’accentuer un « le »; ou alors, carrément, il s’autorise un accent sur un e muet – son côté méridional ressort alors (les Provençaux prononcent le « e » en fin de mot) :
Mais les braves gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux Non, les braves gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux
La Mauvaise Réputation
Mais Brassens est loin d’être un anarchiste en poésie, il connaît ses classiques : Verlaine, Valéry et Villon, pour n’en citer que trois. Chez lui, ces fantaisies sont plutôt l’exception, assez fréquente il est vrai, qui confirme la règle. Il manie avec un goût égal l’argot, les mots cultivés et l’imparfait du subjonctif. Il écrit, peaufine, remanie beaucoup ses textes, mais aussi ses musiques.
Dès 1954, il se fait accompagner systématiquement par le contrebassiste Pierre Nicolas, et dès 1972, plus occasionnellement par le guitariste Joël Favreau.
Les mélodies de Brassens et sa rythmique, presque boy-scout, sont le choix de la simplicité, mais recèlent cependant des complexités inattendues pour le guitariste. Le swing et le rythme ternaire du jazz s’y invitent avec une légèreté méridionale.
De mai 1968, il reste absent. Que faisait-il ? « Des calculs », répondra-t-il ironiquement. Une maladie des reins l’a fait souffrir une grande partie de sa vie, muant les derniers concerts qu’il donna à l’Olympia en une sorte de supplice d’où il fallait partir en ambulance ; raison pour laquelle il renonça à se produire dans cette salle (1985 places assises), à laquelle il préféra celle de Bobino (1100 places).
Brassens est mort à l’âge de 60 ans tout ronds, d’un cancer de l’intestin qui s’était généralisé.
Vers 16 ans, il avait dû quitter Sète après de menus larcins. Ses chansons ont été parfois interdites à la radio. Quelles ont pu être ses déconvenues en tant qu’anarchiste ? S’être fait voler sa première guitare ? Le remariage de Jeanne (veuve) avec un jeunet de 37 ans quand elle en avait deux fois plus ? Recevoir le « Grand Prix de poésie, à l’instigation de Marcel Pagnol et de Joseph Kessel ?
En tout cas pas l’abolition de la peine de mort, peu avant la sienne (de mort). Ce fut l’un de ses derniers combats.
Mais peut-être toute cette gloire était-elle un peu lourde à porter pour son tempérament modeste.
Il devait bien se douter que sa « Supplique pour être enterré à la plage de Sète » tenait de l’utopie et qu’on n’enterre pas une célébrité dans le sable :
Cette tombe en sandwich entre le ciel et l'eau Ne donnera pas une ombre triste au tableau Mais un charme indéfinissable Les baigneuses s'en serviront de paravent Pour changer de tenue et les petits enfants Diront "chouette, un château de sable"
[…]
Pauvres rois pharaons, pauvre Napoléon Pauvres grands disparus gisant au Panthéon Pauvres cendres de conséquence Vous envierez un peu l'éternel estivant Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant Qui passe sa mort en vacances
Nous sommes heureux de retrouver Elsa Wack, notre linguiste du mois de janvier 2014. Elsa, née à Genève, est traductrice indépendante de l'anglais et de l'allemand vers le français. Titulaire d'une licence ès lettres, ayant aussi fait de la musique, du théâtre et du cinéma, elle aime écrire et sa préférence va aux traductions littéraires.
La légende auréole déjà la naissance de Billie Holiday. Faut-il croire son autobiographie? Elle y est née d’une mère de 13 ans et d’un père de 15 ans, mais sur les papiers officiels, la mère avait 19 ans et le père, 16.
Cela incite à se méfier de certains passages de l’autobiographie co-écrite par William Dufty, que wikidata donne comme « acteur, auteur et activiste ». Trois ingrédients pour une biographie romancée.
Il faut dire que, dans la vie de Billie, tout y passe et a peut-être besoin d’un coup de peinture rose et d’un zeste de mythomanie : non reconnue par son père, abandonnée partiellement par sa mère, qui travaillait dans des trains ; battue par d’autres mains quand elle (ou était-ce son demi-frère, sur la même paillasse ?) faisait pipi au lit ; violée à 11 ans par un voisin ; école buissonnière, maison de redressement ; prostitution, drogue, re-prison ; alcool ; racisme ; interdiction de chanter dans des cabarets ; mauvaise presse de son vivant, malgré son succès populaire et l’admiration des grands du jazz ; compagnons et maris abuseurs, voire mafieux ; cirrhose, re-drogue ; surveillance policière jusqu’à l’hôpital, où elle passe ses dernières semaines ; agonie à 44 ans.
Beaucoup de choses et de chansons chez Billie Holiday se terminent sur une grande note tragique.
Née Eleanora Fagan, elle se dote d’un nom de scène emprunté à son père, Clarence Halliday dit Holiday, un guitariste et banjoïste de jazz qui joua dans l’orchestre de Fletcher Henderson. Le prénom Billie, lui, est peut-être emprunté à une actrice de cinéma muet, Billie Dove (encore un nom de scène).
Billie était l’idole noire des blancs et l’idole mulâtresse des noirs. Son grand-père du côté maternel était le fils d’une esclave noire et d’un planteur irlandais.
Billie était très belle, avec quelque chose de moqueur et d’enfantin. Elle portait souvent des gardénias dans les cheveux.
Ses premières idoles à elle étaient Louis Armstrong et Bessie Smith. Son ami sans doute le plus fidèle fut le saxophoniste Lester Young, qui mourut peu avant elle.
Elle fut découverte à 18 ans par John Hammond, découvreur aussi de Count Basie, avec qui Billie a beaucoup tourné avant qu’il ne la vire (bien plus tard, John Hammond a encore découvert Bob Dylan et Leonard Cohen).
Elle joua dans l’orchestre de blancs d’Artie Shaw. Là, c’est elle qui partit. Artie avait beau tenter de la défendre contre la ségrégation raciale, elle devait prendre l’ascenseur de service et se maquiller pour paraître plus blanche.
Elle n’apprit jamais à lire des partitions. Sa voix n’avait pas une grande portée ni un registre très étendu. Sa mémoire des textes et sa diction, son phrasé étaient extraordinaires. « Les mots devenaient son expérience personnelle », a écrit Nat Henoff – Billie, pourtant, se voulait plutôt un instrument qu’une voix : Marc-Édouard Nabe, lui, parle de « notes parolisées », et Hammond de son « oreille musicale troublante ». Elle a chanté au moins 350 chansons différentes au cours de sa vie, qu’elle a toutes marquées de son empreinte. Elle n’en avait composé qu’une dizaine. Beaucoup étaient de Duke Ellington. Strange Fruit (d’Abel Meeropol) était un de ses classiques : une chanson sur le lynchage des noirs, ces « étranges fruits » pendus aux arbres.
En fin de vie, Billie était encore transfigurée sur scène.
Je vais m’attarder sur quelques-uns (un ? deux ? trois ?) des textes qu’elle a chantés.
God bless the child
Billie Holiday - Arthur Herzog Jr
Dans son essence, cette chanson est une des compositions personnelles de Billie Holiday. Elle la soumit pourtant au co-auteur Arthur Herzog Jr. Elle voulait parler d’une querelle avec sa mère, dont elle finançait le restaurant mais qui lui avait refusé de l’argent dans un moment difficile. Arthur Herzog chercha à comprendre ce qu’elle voulait dire ; c’est ainsi que naquit la chanson.
Comme Edith Piaf, née la même année qu’elle mais qu’elle ne rencontra jamais, Billie Holiday était catholique – du moins pendant son enfance et trois jours avant sa mort, quand elle reçut les sacrements ; dans cette chanson, elle donne son interprétation d’une parabole biblique particulièrement impénétrable : « Je vous le dis, répondit-il, on donnera à toute personne qui a, mais à celui qui n'a pas on enlèvera même ce qu'il a. » (Évangile selon saint Luc, 19:26)
La « traduction » de la parabole par Billie :
Them that's got shall get
Them that's not shall lose
So the Bible said and it still is news
Mama may have, Papa may have
But God bless the child that's got his own
That's got his own
Yes, the strong gets more
While the weak ones fade
Empty pockets don't ever make the grade
Mama may have, Papa may have
But God bless the child that's got his own
That's got his own
Money, you've got lots of friends
Crowding round the door
When you're gone, and spending ends
They don't come no more
Rich relations give
Crust of bread and such
You can help yourself
But don't take too much
Mama may have, Papa may have
But God bless the child that's got his own
That's got his own
Mama may have, Papa may have
But God bless the child that's got his own
That's got his own
He just don't worry 'bout nothin'
'Cause he's got his own
Cette chanson était l’une de celle que Billie chantait le plus souvent. Cette parabole, manifestement, lui parlait ; elle nous parle aussi, à travers elle et sa voix teintée d’ironie. Billie comprenait ce que certains appellent « l’humour de Jésus ».
(Parabole de Luc en anglais : I tell you that to everyone who has, more will be given, but as for the one who has nothing, even what they have will be taken away.)
Love for Sale
Souvenons-nous que Billie Holiday était fan de Betty Smith qui vivota parfois en chantant des chansons un peu porno (telles Sugar in my Bowl). Ici, Billie chante le destin tragique de celles à qui le « plus vieux métier du monde » est le seul qui s’offre pour échapper à la misère.
Love for Sale (Cole Porter)
Love for sale
Appetizing young love for sale
Love that’s fresh and still unspoiled
Love that’s only slightly soiled
Love for sale
Who will buy ?
Who would like to sample my supply ? Who’s prepared to pay the price
For a trip to paradise ?
Love for sale
Le the poets pipe of love
In their childish way
I know every type of love
Better far than they
If you want the thrill of love
I’ve been through the mill of love
Old love, new love
Everything but true love
Love for sale
Love for sale
Appetizing young love for sale
If you want to buy my wares
Follow me and climb the stairs
Love for sale
Cœur à vendre
Jeune cœur appétissant à vendre
Cœur tout frais et bien fichu
Cœur à peine un peu déchu
Cœur à vendre
Qui est preneur ?
Mon stock a-t-il un amateur ?
Qui est prêt à mett’ le prix
D’un voyage au paradis ?
Cœur à vendre
Oubliez vos poésies
Vos gamineries
Je connais bien mieux l’amour
Que vos troubadours
Vous êtes vernis d’amour
Moi je suis pétrie d’amour
Ancien, récent,
Tout sauf le grand amour
Cœur à vendre
Cœur à vendre
Jeune cœur appétissant à vendre
Si la marchandise vous dit
Suivez-moi, montez ici !
Cœur à vendre
You Go to my Head
J. Fred Coots, Haven Gillespie
Quelques vers de cette traduction ont été repris de celle chantée par Helen Merrill sous le titre « Vous m’éblouissez »
You go to my head
You linger like a haunting refrain
And I find you spinning round in my brain
Like the bubbles in a glass of champagne
You go to my head
Like a sip of sparkling burgundy brew
And I find the very mention of you
Like the kicker in a julep or two
The thrill of the thought
That you might give a thought
To my plea, casts a spell over me
Still I say to myself
Get ahold of yourself
Can't you see that it never can be
You go to my head with a smile
That makes my temperature rise
Like a summer with a thousand Julys
You intoxicate my soul with your eyes
Though I'm certain that this heart of mine
Hasn't a ghost of a chance
In this crazy romance
You go to my head, you go to my head
Tu me montes à la tête
et là-haut souvent ton nom tourne en rond
comme dans un shaker un cocktail maison
avec juste un’ larme un zeste de poison
Tu me montes à la tête
comme un vin exquis grisant capiteux
comme un vol de nuit calme et luxueux
par-dessus des rêves vertigineux
Je rêve en frémissant
que tu daignes un beau jour
m'accorder un regard plein d'amour
et cette idée me grise
bien que je me dise
que je peux attendre longtemps
Tu me montes à la tête
comme un refrain doux un peu obsédant
comme l'alcool qui dans mes veines se répand
et m'éblouit tout en m'étourdissant
Et même si comme je le sais d'avance
mon pauvre cœur avec toi n'a pas l'ombre d'une chance
Tu me montes à la tête
Sophisticated Lady
Duke Ellington, Irving Mills & Mitchell Parish
À l’époque où je chantais cette chanson dans la rue, il n’y avait pas d’Internet et j’avais mal noté les paroles d’oreille (dans la version de Jeanne Lee / Archie Shepp), c’est pourquoi un vers ne correspond pas à l’anglais; mais la glace a pris là au fond et je n’ai pas voulu le remplacer.
They say
Into your early life romance came
And in this heart of yours burnt a flame
A flame that flickered one day
And died away
Then
With disillusion deep in your eyes
You learned that fools in love soon grow wise
The years have changed you somehow
I see you now
Smoking drinking never thinking
Of tomorrow
Nonchalant
Diamonds shining dancing dining
With some man in a restaurant
Is that all you really want ?
No
Sophisticated Lady I know
You miss the love you lost long ago
And when nobody is nigh
You cry
On dit
Qu’un roman dort sous tes airs de dame
Que dans ton cœur jadis une flamme
Brûla qui vient qui vacille
Encore puis meurt
Alors
Ton regard plein de désillusion
Remet les fous bien vite à leur place,
La glace a pris là au fond
Ah oui je vois
Fumer boire, sans jamais penser
Au jour qui vient
Nonchalance
Or diamants danser dîner en
Tête à tête, dans un restaurant
C’est ton vœu le plus ardent ?
Non
Sophisticated Lady je sais
L’ancien amour perdu de ton cœur
Quand tu es seule en secret
Tu le pleures
(Consulté aussi sur le Net : USA TODAY 100 FACTS about BH)
Notre nouveau contributeur, John Wellington est un artiste new yorkais qui puise son inspiration dans les œuvres des Vieux Maîtres, les icônes religieuses et populaires, le cinéma et la musique. Il est fasciné par la dévotion, l'idolâtrie et l'utilisation de l'imagerie féminine et masculine dans l'art et la vie. Il a exposé à New York, Los Angeles, San Francisco, Miami, Paris et Londres. On peut voir sa peinture sur le site Web :johnwellington.com
Huile sur panneau d'aluminium, 122 cm x 64 cm, 2010 Voir au-dessous l'explication de la legende du tableau [*]
John Wellington dans son atelier
Voir "Studio Visit" au-dessous [**]
John Wellington vient de sortir une trilogie intitulée Idols Demons Saints, une série de livres électroniques tirée de ses carnets de croquis, montrant le processus de création du premier trait de plume jusqu'à l'œuvre d'art achevée. (Voir John Wellington : Idols, Demons and Saints de la plume de James F. Cooper)
Du graffitisme, Basquiat passa à la peinture sur toile. Il n'était pas aussi connu que son ami Andy Warhol, mais ses œuvres expressionnistes et primitivistes, sur les thèmes du racisme, de l'identité culturelle et de la tension sociale ont été exposées dans des galeries et des musées aux États-Unis et à l'étranger.
Il mourut en 1988 (à 27 ans et il y a 27 ans), d'une surdose d'héroïne et de cocaïne, mais sa renommée demeure intacte. Voici deux exemples de la persistance de sa popularité : - l'exposition “Jean-Michel Basquiat: Now’s the Time”, présentée pendant trois mois, un peu plus tôt cette année, au Musee des beaux-arts de l’Ontario (à Toronto, Canada), première grande rétrospective de Basquiat au Canada, réunissant environ 85 tableaux de grandes dimensions ;
- et la présentation de quelques-unes de ses œuvres à la Galerie Bruno Bischofberger (à Zurich, Suisse) dont le propriétaire était, de leur vivant, l'ami de Warhol et de Basquiat.
Warhol, Basquiat & Bischofberger
[1] Signature associée à Jean-Michel Basquiat, dérivée de "same old shit", abrégé en "Same Old" puis en SAMO, tout court. [2] Downtown Manhattan désigne l'extrémité de l'île de Manhattan, au sud de la 14ème rue.
Traduction de cette préface et du texte qui suit, redigé par John Wellington: Jean Leclercq. Original English version
Basquiat et moi
Lorsque Jean-Michel Basquiat et moi nous sommes rencontrés, à l'été 1975, il n'était pas encore célèbre.
Notre réunion reste pour moi un souvenir vivace, non seulement parce que j'y ai fumé mon premier pétard, mais aussi parce que nous avons été interpellés par des flics de New York qui nous ont interrogés alors que nous traînions dans Gramercy Park avec de l'herbe et du papier à cigarettes dans les poches. Cela n'est pas allé pas plus loin et ils nous ont autorisés à retourner chez Eric, de l'autre côté de la rue.Ce soir-là devait être celui de ma seule conversation avec Jean-Michel au cours de sa brève existence.
Cinq ans plus tard, en 1980, alors que j'étais en deuxième année à la Rhode Island School of Design, Jean-Michel était déjà devenu une
vedette de la musique et des cabarets branchés avec son orchestre Gray.
À l'époque où j'ai obtenu un B.F.A., en 1983, et où suis revenu à New York m'installer à Greenpoint (Brooklyn), Jean-Michel était sorti avec la chanteuse Madonna qui allait vite devenir célèbre, et Radiant Child, le texte qu'avait écrit sur lui le poète René Ricard pour ArtForum, lui avait attiré l'attention du monde de l'art.
avec Madonnaavec Warhol
2:52 minutes
Il peignit alors une série d'œuvres à Modène (Italie) et une autre dans un studio de Venice (Californie) que Larry Gagosian avait mis à sa disposition. Sur le plan international, il commença alors à figurer aux côtés des artistes les plus célèbres de son temps. Il avait aussi produit un disque de rap avec Rammellzee et K-Robb et entamé avec son mentor Andy Warhol une collaboration picturale qui allait durer deux ans.
En 1985, alors que j'étais barman dans un restaurant d'Upper Madison Avenue, Jean-Michel faisait la couverture du NewYork Times Magazine portant un complet Armani (ou peut-être était-ce un Comme des Garçons ?) - ET pieds nus – pour l'article intitulé : New Art, New Money: The Marketing of an American Artist. Depuis cinq ans, il avait produit une œuvre artistique remarquable et acquis une grande renommée. Tandis que Jean-Michel devenait une étoile internationale du monde de l'art, j'essayais d'apprendre les techniques de peinture des Vieux Maîtres dans mon studio de Greenpoint, et j'étais encore tout autant étudiant qu'artiste. Le contraste de nos vies ne m'échappait pas. Qu'un être si jeune puisse apporter au monde de l'art quelque chose de neuf, mais aussi de personnel et de vulnérable, cela me fascinait. Bien sûr, il y avait eu d'autres exemples: Pablo Picasso a peint Les Demoiselles d'Avignon à l'âge de 26 ans, et Egon Schiele, comme Jean-Michel, a affirmé son style à l'aube de la vingtaine. Pour moi qui m'échinais encore à manier le pinceau et à trouver ma trace visuelle, l'art et la vie de Jean-Michel exerçaient une fascination au sens propre du terme.
Bien que nous ne nous soyons jamais retrouvés, j'apercevais Jean-Michel dans des clubs comme l'Area et le Palladium, au milieu des années 1980. Une de mes amies d'université, qui avait eu une TRÈS courte liaison avec Jean-Michel, m'a dit qu'au cours de leur première nuit, à l'arrière d'une limousine et tout en vidant des bouteilles de Moët, il lui avait dit combien il se sentait “usé” par le monde artistique. Un an ou deux après, le 12 août 1988, on le retrouva mort d'une surdose, au dernier étage du loft de Great Jones Street qu'il avait loué à Andy Warhol (mort quelques mois auparavant, en 1987). Lorsque j'appris le décès de Jean-Michel, je travaillais comme coloriste chez Marvel Comics, collaborant à des romans graphiques pour des artistes comme Jean Giraud alias Moebius, peignant à mes moments perdus et entreprenant un cycle MFA à la New York Academy of Art. Jean-Michel avait peint des studios entiers d'un art bien à lui, vécu la vie d'une rock star, et était mort alors que j'essayais encore d'apprendre tout juste à peindre.
Couverture de la bande dessinée Surfer d'argent que John Wellington a coloriée pour Jean Giraud alias Moebius. Portrait de Jean Giraud à la gouache, réalisé par John Wellington au cours d'un dîner chez l'auteur, en 1998.
Il y a eu beaucoup de jeunes maîtres, mais tant d'entre eux sont morts jeunes – particulièrement à 27 ans, cet âge fatidique pour les rockers. [1] À l'inverse, il y a ceux qui mettent du temps, les “élèves en difficulté”, ces brebis qui gravissent la colline pas à pas, de manière réfléchie. Nous, les élèves en difficulté, avons besoin de ces années de plus pour nous rattraper. J'ai vendu mon premier tableau à l'âge de 30 ans, en 1991, quelques mois avant la naissance de mon fils. Par la suite, j'ai suffisamment vendu pour en faire ma profession. Maintenant, dans la cinquantaine, je peins et sculpte encore presque tous les jours. Au fil des ans, ma vision artistique se raconte et, de temps en temps, j'insère dans mon art une référence à Jean-Michel. Dans ma bibliothèque, j'ai toujours le numéro du New York Times Magazine avec l'article qui lui était consacré. Je ne m'en débarrasserai jamais.
Nous sommes si souvent attirés par ce qui nous ressemble le plus. Pourtant, comme cela arrive aussi souvent, ce qui m'attire en lui est à l'opposé de mon art et de ma vie. Jean-Michel a créé quand il était défoncé, restant éveillé pendant toute une semaine, pour sombrer dans le sommeil pendant la semaine suivante; barbouillant, peignant et exprimant son angoisse, son humour, ses crânes et ses couronnes sur des toiles ou tout autre support qui lui tombait sous la main, et tout cela dès avant son vingt-et-unième anniversaire. Comment aurait-il pu ne pas me fasciner ?
John Wellington --------------------------
["] Inpiré de la Madone noire de l'art haïtien, Wellington a peint une Madone revêtue d'une armure et tenant dans ses bras un petit Jean-Michel Basquiat. “Je ne suis pas un être réel, je suis une légende” avait dit Jean-Michel, un mois avant de mourir, en se comparant à Marilyn Monroe dont il était question dans la chanson A Candle in the Wind d'Elton John et Bernie Taupin. Une couronne dorée est tatouée sur le bras droit du jeune garçon .
[1]Allusion au “Club 27”, réunissant les rockers morts à 27 ans. Parmi eux, Jimi Hendrix, Jim Morrison et Kurt Cobain, récemment rejoints par Amy Winehouse. Curieusement, ces jeunes talents du “Forever 27 Club” n'ont jamais fêté leur vingt-huitième anniversaire !
Elsa Wack, notre contributrice fidèle aux multiples talents, a rédigé l’article précèdent sur ce blog, au sujet de Globi, le personnage de bandes dessinées très populaire en Suisse alémanique et en Allemagne. Cette fois-ci nous profitons de ses connaissances de la musique, dans l’article ci-dessous, dans lequel elle nous présente deux sœurs musicales.
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Elles sont sœurs ; l’aînée est née en Russie et joue du violon ; la cadette est née à Genève et joue du piano.
Maria et Nathalia Milstein ont enregistré en 2017 un disque sur une sonate fictive, la « Sonate de Vinteuil ». Pourquoi fictive ? Parce qu’elle n’existe qu’à l’état d’évocation dans « À la recherche du temps perdu » de Proust. Elle y est une « madeleine de Proust musicale » liée à l’amour de son héros Charles Swann pour une certaine Odette.
Le tempo du disque est souvent lent, l’interprétation douce. La cadette est d’une beauté plus délicate et son instrument est plus grand : un piano extraordinaire. Se ressemblent-elles ? Oui et non. Elles sont en harmonie, ce qui n’est pas toujours évident entre sœurs.
Toutes deux sont des virtuoses plusieurs fois couronnées. Ce disque lui-même est une madeleine de Proust rappelant la « Belle Époque » qui s’étendit de 1880 environ à 1914. C’est en 1913 qu’a commencé à paraître l’œuvre de Proust, et vers 1919 qu’on a commencé à désigner par ce mot de « Belle Époque » ce qui allait rester dans les mémoires, en France et en Europe, comme un âge d’or comparé aux horreurs des guerres et des crises qui suivaient et allaient suivre.
Le disque des sœurs Milstein dégage bien cette atmosphère de Belle Époque : douceur, calme, art de vivre, art tout court. La paix. Pas toujours… On y trouve la sonate de Saint-Saëns en ré mineur op. 75, à côté de la Sonate pour violon et piano de Debussy et d’œuvres de deux autres compositeurs de ce temps : Gabriel Pierné et Reynaldo Hahn. Ce dernier fut l’amant de Proust jusqu’en 1896, puis resta son ami jusqu’à la fin de sa vie.
Les quatre compositeurs ont principalement travaillé en France. La sonate de Saint-Saëns est la seule de ces œuvres à avoir été citée par Proust lui-même comme l’un des modèles de sa « Sonate de Vinteuil ». Elle contient une petite phrase musicale clé, mais tout juste « charmante », disait-il. Il avait beaucoup admiré Saint-Saëns avant de le trouver rétrograde.
Quand j’entends « À Chloris » de Reynaldo Hahn par les sœurs Milstein, c’est aussi un peu de Bach qui résonne en moi. Encore une madeleine de Proust. Maria Milstein a elle-même transcrit la ligne de voix pour le violon.
Les sœurs Milstein ont également enregistré « Ravel Voyageur » : tout un voyage vraiment, avec des échos tziganes, blues, kaddisch et grecs du grand compositeur. Les titres sont disponibles en streaming.
Nous sommes heureux de retrouver Elsa Wack, notre linguiste du mois de janvier 2014. Elsa, née à Genève, est traductrice indépendante de l'anglais et de l'allemand vers le français. Titulaire d'une licence ès lettres, ayant aussi fait de la musique, du théâtre et du cinéma, elle aime écrire et sa préférence va aux traductions littéraires.
Globi est un personnage de bandes dessinées très populaire en Suisse alémanique et en Allemagne, mais pas vraiment en Suisse romande. Ce galopin mi-perroquet, mi-humain, est vieux d’au moins 60 ans, mais le concept n’a pas beaucoup changé : une bande dessinée sur la page de droite, que les petits lecteurs peuvent s’amuser à colorier car elle est généralement en noir et blanc, et des quatrains rimés sur la page de gauche, qui racontent la même histoire. Cent pages par album : voilà l’album « Globi Klassik ».
Le clivage Nord/Sud existe aussi en Suisse, parallèle en miniature de la relation houleuse entre l’Allemagne et la France, la Flandre et la Wallonie, etc. ; sauf qu’en Suisse, ce clivage géographique est doublé d’un Est-Ouest, la partie germanophone se trouvant à l’est. Le Nord(-Est) aime bien le Sud(-Ouest), surtout pour y passer des vacances. Le Sud-Ouest aime bien le Nord-Est un peu à la manière d’un parent pauvre, c’est-à-dire oui et non.
Je vais tenter de vous faire aimer « Globi et Roger », dernier opus de la série. Roger, c’est Roger Federer (Rodge pour les amis), un grand tennisman suisse qui partage la vedette avec Globi dans l’album. Federer est un héros gentil, mais un peu encombré par ses richesses. Le personnage de Globi est plus complexe – partagé entre son côté farceur, fantaisiste et même tricheur, et les bonnes intentions que lui insufflent les divers sponsors des albums – en général, écologie, sport et éducation, qui sont ici abordés avec pas mal de finesse. Globi se sait célèbre, ce qui complique un peu sa lecture en Suisse romande où il ne l’est pas ! Mais sa célébrité, dans cet album comme dans les autres, il doit la reconquérir au fil des aventures, comme le fait un grand sportif au fil de ses tournois.
Pour cet album de Globi, l’équipe des textes et des images a joui, vu la popularité de Federer, de conditions exceptionnelles. La traductrice a disposé de six mois pour l’adaptation française, période que le dessinateur-auteur a pu, lui aussi, mettre à profit pour peaufiner les dessins tandis que le rédacteur suisse-allemand faisait de même avec ses vers ; le tout en défendant parfois leurs choix, soumis à des contrôles attentifs. C’était une sorte de travail d’équipe d’un bout à l’autre de la Suisse, avec également une version anglaise, écrite à Berne et relue à Genève.
Le résultat ? Une histoire amusante, des histoires dans l’histoire ; du tennis, bien sûr, et quelques souvenirs d’enfance de Federer ; un voyage en Angleterre, un autre en Afrique, où les plus éduqués ne sont peut-être pas ceux qu’on pense ; et toutes les caractéristiques traditionnelles des albums de Globi, avec le cycle des saisons et l’apothéose finale de la célébrité reconquise, suivie d’adieux teintés d’un brin de mélancolie.
Cet album connaîtra-t-il le même destin que les précédents dans le monde francophone, où l’on se préoccupe assez peu de bandes dessinées germaniques ? Ou le tennisman suisse, bilingue et très populaire, lui, du côté ouest de la rivière Sarine, attirera-t-il des lecteurs vers la version française ? Les paris sont ouverts, tout comme ceux sur l’issue du grand match de tennis qui oppose les deux héros à la fin de l’histoire.
Après « Guillaume Apollinaire, flaneur de deux rives» et notre interview avec l'auteur de "Siegfried Sassoon: Soldier, Poet, Lover, Friend", nous poursuivons notre évocation poétique de la Grande Guerre avec Wilfred Owen, considéré comme le plus grand poète de guerre de langue anglaise. Cette fois, c'est notre collaboratrice Isabelle Barth O'Neill qui a bien voulu brosser ce portrait et nous l'en remercions vivement.
Isabelle, qui habite en Irlande, a été notre linguiste du mois de décembre 2013. Après des études de langues à l'Université de Lille 3 qui l'ont menée de la licence au doctorat d'université, avec la combinaison anglais, allemand, néerlandais, Isabelle s'est lancée dans la traduction en travaillant pour de nombreuses ONG, souvent à vocation médicale ou humanitaire.
Parallèlement, elle s'est intéressée aux questions de bilinguisme, situation qu'elle vit au quotidien dans sa famille. Elle s'est activement impliquée dans le mouvement FLAM (Français Langue Maternelle) qui offre un soutien aux familles bilingues.
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Considéré comme le plus grand poète de la Première Guerre Mondiale, Wilfred Owen mourra très jeune, quelques jours seulement avant la fin de la guerre. Tué dans la traversée du Canal de la Sambre, il repose en France, dans la petite commune d'Ors, près de Cambrai.
« Cette plaque commémore la traversée victorieuse de ce canal par l'armée britannique le 4 novembre 1918. Parmi ceux qui y laissèrent leur vie se trouvait le poète Wilfred Owen. »
Son enfance et sa jeunesse
Né le 18 mars 1893 à Oswestry, dans le Shropshire, Wilfred Owen est le fils aîné de Tom Owen, employé des chemins de fer, et de Susan Shaw, issue de la bourgeoisie locale. Cette dernière est une fervente chrétienne d'obédience évangélique. Elle est très soucieuse de respectabilité, mais son père leur a laissé des dettes. La famille consacre beaucoup de temps aux offices et à la lecture de la Bible, des lectures qui marqueront l'imagerie et le vocabulaire du futur poète.
Wilfred suivra les cours de l'École Technique à Mahim. Il y découvre un goût prononcé pour l'étude, et principalement les langues et la littérature anglaise. Il s'enthousiasme pour la poésie et pour John Keats en particulier. Il terminera ses études à l'École Technique de Shrewsbury. Il pourrait devenir instituteur, mais une « expérience le persuade que la vie est ailleurs ».
À 18 ans, les finances familiales ne lui permettent pas d'entrer à l'université. Il lui faut passer un examen d'entrée et obtenir une bourse. Ce n'est donc pas facile… Il part pour Dunsden, près de Reading, pour préparer l'examen d'entrée à l'université auprès du Révérend Herbert Wigan. Ce dernier, qui est chargé de le préparer, oublie vite sa promesse et Wilfred est surchargé de tâches auprès des ouailles de la paroisse et des familles pauvres de la ville. Face à l'illettrisme, la maladie, la misère et l'indifférence des bien-pensants et des nantis, il questionne sa foi. Cette expérience détruira bon nombre de ses convictions religieuses. Il quitte la paroisse en février 1913, après avoir écrit à sa mère : « Le meurtre devait arriver, et j'ai tué mes fausses croyances. ».
Bordeaux
La situation familiale est tendue. Il a réussi son examen d'entrée à l'université, mais n'a pas obtenu de bourse. Il lui faut donc faire autre chose.
À la mi-septembre 1913, il s'embarque pour Bordeaux où il sera d'abord professeur d'anglais à l'école Berlitz, puis précepteur de la fille de M. et Mme Léger, un poste qu'il prendra le 31 juillet 1914, à Bagnères-de-Bigorre. Même si des rumeurs de guerre submergent l'Europe, les sujets expatriés de sa Majesté ne sont pas encore appelés à servir.
Il rencontre Laurent Tailhade (1854-1919) qui a connu Verlaine. « D'emblée l'admiration est réciproque. La fougue du jeune Anglais séduit le vieil esthète. Le statut de l'aîné, poète établi et reconnu, impressionne Wilfred. ». Owen découvre le symbolisme ainsi que la puissance de certaines techniques de versification, comme l'assonance, l'allitération, la rime interne qu'il pratiquera plus tard dans ses propres poèmes.
En octobre 1914, Mme Léger part au Canada, Wilfred doit trouver un nouvel appartement et s'installe à Bordeaux. Il visite l'hôpital de la ville où sont soignés des blessés du front. Même si le poète de la compassion n'est pas encore né, il pense déjà à la défense de la civilisation. En décembre 1914, il décroche un poste de précepteur au service de la famille de la Touche. C'est un poste qu'il gardera pendant une année.
Retour en Angleterre
En mai 1915, il retourne pour la première fois en Angleterre. Il est en mission pour un parfumeur bordelais. Il retournera ensuite en France. En septembre 1915, sa décision est prise. Il retraverse la Manche et, le 21 octobre 1915, il s'engage comme cadet aspirant-officier au 28e London Regiment mieux connu sous le nom d'Artists' Rifles (Fusiliers des Artistes), une unité d'instruction pour officiers. Son séjour à l'étranger lui avait en fait ouvert les portes de cette prestigieuse unité. Il a alors 22 ans.
Le 4 juin 1916, le sous-lieutenant Wilfred Owen est affecté au Manchester Regiment. Le 29 décembre de la même année, il embarque à Folkestone. Le 6 janvier 1917, il rejoint son unité sur la Somme. Entre juillet et novembre 1916, la région dans laquelle il se trouve est fortement touchée par les batailles, le 2e bataillon du Manchester Regiment comble les vides pour remplacer les soldats mis hors de combat. Wilfred Owen reçoit le commandement de la 3e compagnie. Il va alors connaître l'horreur de la guerre de tranchées qui sera aggravée par un hiver exceptionnellement rigoureux.
Le 12 janvier 1917, une sentinelle est mortellement touchée par un éclat d'obus. Très sensible aux douleurs de ses hommes, il en tirera plus tard ces lignes dans The Sentry(La sentinelle) :
« Through the dense din, I say, we heard him shout 'I see your lights!' – But ours had long gone out »
(À travers le tumulte, parole, nous l'entendîmes crier 'Je vois vos lampes !' – Mais depuis longtemps les nôtres s'étaient éteintes.)
Le froid presque sibérien de l'hiver dans lequel il doit rester couché avec le peloton sera un point de départ du poème Exposure (Froid, première ligne) :
« Our brains ache, in the merciless iced east winds that knive us… Wearied we keep awake because the night is silent… »
(La tête nous fait mal, dans les vents d'est glacés qui sans pitié nous fouaillent… Fatigués nous veillons, car la nuit est silencieuse...)
Dans la nuit du 15 mars, il fait une chute terrible de plusieurs mètres. Commotionné, il est évacué. Dès qu'il est rétabli, il retourne au front et participe à plusieurs attaques. Le 14 avril, il est soufflé par une explosion. En état de choc post-traumatique, on diagnostique une neurasthénie en mai 1917. On le déclare inapte au service armé et il est envoyé à l'hôpital militaire de Craiglockhart, en Écosse, où il arrive le 26 juin de la même année. Ce séjour changera sa vie de poète tout autant que l'expérience du combat l'a perturbé.
Convalescence et rencontre avec Sassoon
Le docteur Brock qui s'occupe de lui pense que l'exercice et le travail seront le meilleur des traitements. Il incite donc Wilfred Owen à écrire et ravive son goût pour la marche et la botanique. Puis, il se voit confier l'édition de la revue de l'hôpital : The Hydra (L'hydre).
À la mi-août, Siegfried Sassoon arrive à Craiglockhart. Il exercera une grande influence sur Wilfred Owen qui fera tout pour le rencontrer. Sassoon l'aidera à trouver sa voie en lui donnant des conseils sur la forme des vers et le choix des titres de ses poèmes ; il l'incite également à narrer sa propre expérience de la guerre. C'est alors le déclic. Wilfred Owen connaît une période de grande activité créatrice et sa santé nerveuse s'améliore, comme l'avait pensé le docteur Brock. Il écrit une série de poèmes majeurs comme Strange Meeting [1] et Exposure. Il compose aussi Anthem for doomed Youth [2] et Dulce et Decorum Est. Fin octobre, il est déclaré guéri et peut quitter Craiglockhart. Il passe quelques jours à Londres et rencontre Herbert George Wells, Arnold Bennett et Osbert Sitwell.
En mars 1918, le sous-lieutenant Wilfred Owen est muté au dépôt de Ripon. Sa carrière poétique va débuter. Osbert et Edith Sitwell lui demandent quelques poèmes pour leur anthologie annuelle de 1918, The Wheels. Le 10 août 1918, la commission médicale le déclare apte au service armé et le 31 du même mois, il regagne la France pour rejoindre son unité.
Derniers jours de guerre
Après un bref séjour à Étaples, il rejoint les Manchesters à Corbie, près d'Amiens. Le 1er octobre 1918, il prend d'assaut un nid de mitrailleuses à l'est de Joncourt. L'attaque est un succès. Le jour même, il est proposé pour la Military Cross. Le 3 octobre, le bataillon est relevé et va s'installer au sud du Cateau, à l'est du petit village d'Ors. Wilfred Owen est cantonné dans la maison forestière. Le 31 octobre 1918, il écrit à sa mère : « Il n'y a aucun danger ici. S'il y en avait, il sera passé depuis longtemps quand vous lirez ces lignes. ». Il commence sa lettre ainsi : « Très chère Mère, l'endroit où je t'écris à présent, je l'appellerai 'la cave enfumée de la maison forestière…' ».
La maison forestière :
L'heure H de la traversée du canal de la Sambre est fixée au 4 novembre 1918, à 5h45 du matin. L'artillerie tonne. Les 2nd Manchesters se lancent à l'assaut de la position allemande qui se trouve sur l'autre rive. Il faut construire des passerelles flottantes, mais l'opération tourne court. À 8h30, la bataille est terminée. Les rescapés repassent le canal. Mais le sous-lieutenant Owen est déjà mort, tué en franchissant le canal. Il avait vingt-cinq ans, quatre de ses poèmes ont été publiés, une bonne centaine sont encore inédits.
Le 5 novembre 1918, la London Gazette annonce la promotion de Wilfred Edward Salter Owen au grade de lieutenant. Le 8 novembre, le lieutenant Owen reçoit la Croix militaire pour sa conduite exemplaire sur la ligne Beaurevoir-Fonsomme.
La guerre prend fin trois jours plus tard.
Le 11 novembre, alors que les cloches sonnent en l'honneur de l'armistice, le télégramme fatidique que nul ne souhaitait arrive chez les Owen, à Shrewsbury.
Après sa mort
En dehors de sa famille et du cercle restreint de ses amis littéraires, sa disparition passe inaperçue. Sa mère fera graver sur sa tombe :
« Shall life renew these bodies ? Of a truth All death will he annulf, all tears assuage »
(La vie renaître-t-elle dans ces corps ? En vérité Elle frappera toute mort de nullité, toute larme d'inutilité)
En 1919, la renommée littéraire commence à poindre, grâce à l'anthologie qu'Osbert et Edith Sitwell lui dédient. Sept de ses poèmes y figurent. L'année suivante, Siegfried Sassoon publie le premier recueil complet de ses poésies, qu'il préface lui-même. La première percée n'aura cependant lieu qu'en 1931, quand Edmund Blunden publie son étude de la version des œuvres accompagnée d'une étude pénétrante.
En 1962, Benjamin Britten utilise neuf de ses poèmes pour son War Requiem, lui rendant ainsi un vibrant hommage. En 1967, Harold Owen, son frère, autorise enfin John Bell a publié sa correspondance, mais non sans avoir procédé à de nombreuses coupures. [1]
Poète de la douleur de deuil, de la détresse et de la désespérance
Publiées à titre posthume, ses œuvres parlent de ses visions de la Grande Guerre. Il fait partie du groupe de la War Poetry, un mouvement littéraire anglo-saxon qui s'inscrit dans cette époque de guerre, de catastrophes humaines, d'élans pacifistes suite aux déferlements de haines et d'atrocités. Considéré comme un « témoin » de la guerre, on retrouve dans ses poèmes et sa correspondance « l'absurdité barbare » de cette guerre. Ses textes touchent les cœurs, non pas par des lamentations, mais par un réalisme lyrique. Il est un témoin car il a été un observateur bouleversé par la souffrance engendrée par la guerre. Le soldat brisé et épuisé, rompu et courbatu, est au cœur de sa poésie. Il fait corps avec « ceux qui meurent comme du bétail » (dans « Hymne à la jeunesse condamnée ») dont voici quelque lignes :
Anthem for doomed Youth
What passing bells for those who die as cattle? Only the monstrous anger of the guns, Only the stuttering rifles' rapid rattle Can patter out their hasty orisons, No mockeries for them from prayers and bells, Nor any voice of mourning save the choirs, – The shrill, demented choirs of wailing shells; And bugles calling for them from sad shires.
What candles may be held to speed them all? Not in the hands of boys, but in their eyes Shall shine the holy glimmers of good-byes, The pallor of girls' brows shall be their pall; Their flowers the tenderness of silent minds,
And each slow dusk a drawing-down of blinds.
Hymne à la Jeunesse condamnée
Quel glas sonne pour ceux qui meurent comme du bétail ? Seule, la colère monstrueuse des canons, Seul, le crépitement rapide des fusils hoquetant Peuvent ponctuer leurs oraisons hâtives, Pour eux, pas de prières ni de cloches dérisoires, Nulle voix endeuillée hormis les chœurs, — Les chœurs suraigus et démentiels des obus gémissants ; Et les clairons appelant pour eux depuis de tristes comtés.
Quelles chandelles seront tenues pour leur souhaiter bon vent ? Non dans la main des garçons, mais dans leurs yeux, Brilleront les lueurs sacrées des adieux, La pâleur du front des filles sera leur linceul, Leurs fleurs, la tendresse d'esprits silencieux, Et chaque long crépuscule, un rideau qui se clôt.
Anthem for doomed Youth
What passing bells for those who die as cattle? Only the monstrous anger of the guns, Only the stuttering rifles' rapid rattle Can patter out their hasty orisons, No mockeries for them from prayers and bells, Nor any voice of mourning save the choirs, – The shrill, demented choirs of wailing shells; And bugles calling for them from sad shires.
What candles may be held to speed them all? Not in the hands of boys, but in their eyes Shall shine the holy glimmers of good-byes, The pallor of girls' brows shall be their pall; Their flowers the tenderness of silent minds,
And each slow dusk a drawing-down of blinds.
Hymne à la Jeunesse condamnée
Quel glas sonne pour ceux qui meurent comme du bétail ? Seule, la colère monstrueuse des canons, Seul, le crépitement rapide des fusils hoquetant Peuvent ponctuer leurs oraisons hâtives, Pour eux, pas de prières ni de cloches dérisoires, Nulle voix endeuillée hormis les chœurs, — Les chœurs suraigus et démentiels des obus gémissants ; Et les clairons appelant pour eux depuis de tristes comtés.
Quelles chandelles seront tenues pour leur souhaiter bon vent ? Non dans la main des garçons, mais dans leurs yeux, Brilleront les lueurs sacrées des adieux, La pâleur du front des filles sera leur linceul, Leurs fleurs, la tendresse d'esprits silencieux, Et chaque long crépuscule, un rideau qui se clôt.
Pour Wilfred Owen, la guerre s'acharne à déshumaniser le combattant. Dans son poème « Mutilés et Malades mentaux », il dénonce le délabrement de l'être humain dans la guerre. On y retrouve un peu les héros des tragédies grecques, des héros au sort tragique. Il semble que, pour lui, l'amour de Dieu et l'amour des hommes ont abandonné le combattant qui se prépare à mourir par amour de ses compagnons. Le soldat est donc prêt à se dévouer pour que la Vie renaisse. Wilfred Owen est à la fois un poète réaliste et visionnaire.
À mesure que le temps passe, l'œuvre de Wilfred Owen perd peu à peu son envahissant statut de témoignage d'époque pour acquérir celle d'un art poétique transcendant l'anecdote pour faire entendre un chant fort, sombre, lumineux lucide et déchirant à la fois. C'est de l'homme qu'il est question, un homme meurtri, humilié, dépassé, nié jusque dans son humanité même.
Dulce Et Decorum Est, autre poème important, fut écrit pendant son séjour à Craiglockhart. Owen s'adressé à sa mère et lui relate l'histoire d'un groupe de soldats « ivres de fatigue » et contraints de se frayer un chemin « dans la gadoue » pour s'abriter des obus qui pleuvent sur eux.
Il commence ainsi :
Bent double, like old beggars under sacks, Knock-kneed, coughing like hags, we cursed through sludge, Till on the haunting flares we turned our backs And towards our distant rest began to trudge. Men marched asleep. Many had lost their boots But limped on, blood-shod. All went lame; all blind; Drunk with fatigue; deaf even to the hoots Of tired, outstripped Five-Nines that dropped behind.
Pliés en deux, tels de vieux mendiants sous leur sac, Harpies cagneuses et crachotantes, à coups de jurons Nous pataugions dans la gadoue, hors des obsédants éclairs, Et pesamment clopinions vers notre lointain repos. On marche en dormant. Beaucoup ont perdu leurs bottes Et s'en vont, boiteux chaussés de sang, estropiés, aveugles ; Ivres de fatigue, sourds même aux hululements estompés Des Cinq-Neuf distancés qui s'abattent vers l'arrière
Le réalisme du poète conduit le lecteur pas à pas vers la conclusion à la fois grave et revendicatrice : est-il légitime de poursuivre le mensonge de la gloire et de la beauté de la guerre ?
What passing-bells for these who die as cattle? Only the monstrous anger of the guns. Only the stuttering rifles' rapid rattle Can patter out their hasty orisons. No mockeries for them; no prayers nor bells, Nor any voice of mourning save the choirs,— The shrill, demented choirs of wailing shells; And bugles calling for them from sad shires.
What candles may be held to speed them all? Not in the hands of boys, but in their eyes Shall shine the holy glimmers of goodbyes. The pallor of girls' brows shall be their pall; Their flowers the tenderness of patient minds, And each slow dusk a drawing-down of blinds.
[3] Delphi Complete Poems and Letters of Wilfred Owen (Illustrated) Kindle Edition $0.99
Amanda Gorman, poète nationale des États-Unis, récite son poème lors de l'investiture [1] du Président Biden, le 20 janvier 2021. [2]
Nous fournissons ci-dessous quelques faits biographiques concernant Amanda Gorman mais tout d’abord nous souhaitons présenter une estimation de son œuvre, rédigée par Hélène Cardona à notre intention.
Hélène, elle aussi poétesse et auteure, résidente de Los Angeles, comme la jeune Amanda, a remporté un nombre de prix, dont l'Independent Press Award et l’International Book Award et a publié plusieurs livres dont Life in Suspension / La Vie Suspendue(Salmon Poetry)et Dreaming My Animal Selves / Le Songe de mes Âmes Animales (Salmon Poetry) – tous les deux bilingues.
Dans le passé Hélène fut notre “linguiste du mois”. (L’entretien avec Hélène est accessible à https://bit.ly/3qEdySt) Elle s’est également entretenue avec le grand poète américain (récemment décédé), John Ashbery.
Nous la remercions chaleureusement pour le commentaire précieux qui suit :
« L'amour devient notre héritage »
Amanda Gorman est la plus jeune poète à écrire et réciter un poème pour une inauguration présidentielle. Elle marche ainsi sur les traces illustres de Maya Angelou et de Robert Frost. C’est sa lecture passionnée de son poème « In This Place: An American Lyric », à la Bibliothèque du Congrès en 2017, qui attira l’attention du Dr. Jill Biden.
« La poésie est une forme d’art, mais pour moi, c’est aussi une arme, c’est aussi un instrument », déclare-t-elle lors d’une interview avec Jeffrey Brown pour PBS NewsHour.
Elle finit de composer son poème, « The Hill We Climb » (La Colline que nous gravissons), le 6 janvier, jour où le Capitole de Washington D.C. fut pris d’assaut par les partisans de l’ancien président Donald Trump.
Ce fut une tâche intimidante. C’est un poème qui tient compte des divisions politiques du moment et des tensions raciales aux États-Unis, mais c’est aussi un baume offert à ceux qui souffrent, une manière de leur rendre justice.
C’est une composition originale, hybride, moitié poème, moitié slam « spoken word poetry », récitée avec grâce et aplomb, une courageuse recherche de la vérité, qui vise essentiellement à faire la lumière sur ces récents événements ainsi que sur des problèmes depuis trop longtemps restés dans l’obscurité. Amanda Gorman a créé un poème représentatif de tous et de toutes. Pour elle, ce fut l’occasion d’unir le people des États-Unis.
Elle commence par une question : « où trouver la lumière dans cette obscurité sans fin ? » Après cette invitation à méditer sur notre condition, elle propose un nouveau regard, généreux, à la fois intime et lyrique, porteur et optimiste :
The new dawn blooms as we free it
For there is always light,
If only we're brave enough to see it
If only we're brave enough to be it
L'aurore nouvelle fleurit alors que nous la libérons
Amanda, née en 1998 à Los Angeles, est une poétesse et militante américaine.
Originaire de Californie, Amanda Gorman grandit à Los Angeles. Elle est élevée par sa mère, une enseignante du nom de Joan Wicks, avec ses deux frères et sœurs. Elle a une sœur jumelle, nommée Gabrielle Gorman, et également militante.
Amanda Gorman déclare avoir grandi dans un environnement où l'accès à la télévision était limité. Enfant, elle grandit avec un trouble de la parole. Sa mère l’encourage vivement dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Hypersensible aux sons, elle souffre d’un trouble du traitement auditif. Elle fréquente l’école privée New Roads à Santa Monica, de la maternelle à la terminale. En 2014, elle est choisie comme jeune poétesse lauréate de la ville de Los Angeles.
En avril 2017, Amanda Gorman est nommée comme la toute première poétesse officielle de la jeunesse des États-Unis. En 2020, elle obtient son diplôme de sociologie de l’université Harvard.
Elle est la poétesse invitée à l'inauguration (inaugural poet) du 46e président des États Unis, Joe Biden. Elle lit un texte écrit après l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021, The Hill We Climb. [3]
Les textes d’Amanda Gorman se concentrent sur les questions d'oppression, de féminisme, de race et de marginalisation, ainsi que sur la diaspora africaine. En 2015, elle publie One for Whom Food Is Not Enough, un premier recueil de poèmes aux éditions Urban Word LA.
Amanda Gorman est la fondatrice et la directrice exécutive de l'organisation à but non lucratif One Pen One Page, une organisation qui propose des programmes de création littéraire gratuits pour les jeunes défavorisés.
Elle déclare avoir souhaité devenir une jeune déléguée de l’organisation des Nations Unies en 2013, après avoir assisté à un discours de la militante pakistanaise des droits des femmes, Malaya Yousafzais nommée prix Nobel de la Paix en 2014
En 2017, elle devient la première jeune poétesse à ouvrir la saison littéraire de la Bibliothèque du Congres. Elle est invitée sur la chaîne américaine MTV pour une lecture de ses poèmes.
La même année, elle est la première autrice à figurer dans le Livre du mois du XQ Institute, un cadeau mensuel pour partager les livres favoris inspirants de la Génération Z. Elle écrit un hommage aux athlètes noirs pour la marque Nike, et conclut un accord avec Viking Children's Books pour écrire deux livres d’images pour enfants.
Amanda Gorman déclare vouloir se présenter à l’élection présidentielle américaine 2036.
La Morgan Library and Museum a acquis son poème In This Place (An American Lyric). Celui-ci est exposé en 2018, aux côtés d'œuvres de la poétesse et femme de lettres américaine, Elizabeth Bishop.
Amanda Gorman est choisie par l'administration de Joe Biden pour lire un poème original lors de l’investiture du nouveau président américain le 20 janvier 2021. Elle devient ainsi la plus jeune femme et poétesse à occuper ce rôle. Après le 6 janvier 2021, elle modifie le contenu de son poème afin de tenir compte de la prise d'assaut du Capitole des États-Unis. (Source: Wikipedia)
[2] Note historique : Le 20 janvier 1961, il y a exactement 60 ans, un autre poet national des États Unis, Robert Frost, a récité son poème à l'investiture d'un autre president démocratique, John F. Kennedy.
[3] The Hill We Climb par Amanda Gorman:
Mr. President, Dr. Biden, Madam Vice President, Mr. Emhoff, Americans and the world, when day comes we ask ourselves/ where can we find light in this never-ending shade? /The loss we carry/ asea we must wade./ We’ve braved the belly of the beast./ We’ve learned that quiet isn’t always peace./ In the norms and notions/ of what just is isn’t always just-ice./ And yet, the dawn is ours/ before we knew it./ Somehow we do it./ Somehow we’ve weathered and witnessed/ a nation that isn’t broken,/ but simply unfinished./ We, the successors of a country and a time/ where a skinny black girl/ descended from slaves and raised by a single mother/ can dream of becoming president/ only to find herself reciting for one.
And yes, we are far from polished,/ far from pristine,/ but that doesn’t mean we are/ striving to form a union that is perfect./ We are striving to forge our union with purpose./ To compose a country committed to all cultures, colors, characters, and conditions of man./ And so we lift our gazes not to what stands between us,/ but what stands before us./ We close the divide because we know to put our future first,/ we must first put our differences aside./ We lay down our arms/ so we can reach out our arms/ to one another. We seek harm to none and harmony for all./ Let the globe, if nothing else, say this is true./ That even as we grieved, we grew./ That even as we hurt, we hoped./ That even as we tired, we tried/ that will forever be tied together victorious./ Not because we will never again know defeat,/ but because we will never again sow division.
Scripture tells us to envision/ that everyone shall sit under their own vine and fig tree/ and no one shall make them afraid./ If we’re to live up to her own time,/ then victory won’t lie in the blade,/ but in all the bridges we’ve made./ That is the promise to glade,/ the hill we climb if only we dare./ It’s because being American is more than a pride we inherit./ It’s the past we step into/ and how we repair it./ We’ve seen a forest that would shatter our nation/ rather than share it./ Would destroy our country if it meant delaying democracy./ This effort very nearly succeeded./
But while democracy can be periodically delayed,/ it can never be permanently defeated./ In this truth,/ in this faith we trust./ For while we have our eyes on the future,/ history has its eyes on us./ This is the era of just redemption./ We feared it at its inception./ We did not feel prepared to be the heirs/ of such a terrifying hour,/ but within it, we found the power/ to author a new chapter,/ to offer hope and laughter to ourselves/ so while once we asked,/ how could we possibly prevail over catastrophe?/ Now we assert,/ how could catastrophe possibly prevail over us?
We will not march back to what was,/ but move to what shall be,/ a country that is bruised, but whole,/ benevolent, but bold,/ fierce, and free./ We will not be turned around/ or interrupted by intimidation/ because we know our inaction and inertia/ will be the inheritance of the next generation./ Our blunders become their burdens./ But one thing is certain,/ if we merge mercy with might/ and might with right,/ then love becomes our legacy/ and change our children’s birthright.
So let us leave behind a country/ better than one we were left with./ Every breath from my bronze-pounded chest/ we will raise this wounded world into a wondrous one./ We will rise from the gold-limbed hills of the West./ We will rise from the wind-swept Northeast/ where our forefathers first realized revolution./ We will rise from the lake-rimmed cities of the Midwestern states./ We will rise from the sun-baked South.[4]/ We will rebuild, reconcile and recover/ in every known nook of our nation,/ in every corner called our country/ our people diverse and beautiful will emerge/ battered and beautiful./ When day comes, we step out of the shade/ aflame and unafraid./ The new dawn blooms as we free it./ For there is always light./ If only we’re brave enough to see it./ If only we’re brave enough to be it.
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[4] Ces vers rappellent ceux du discours de Martin Luther King, prononcé le 28 août 1963 dans la proximité du Capitole de Washington, et connu comme "Je fais une rêve" :
"And if America is to be a great nation, this must become true. So let freedom ring from the prodigious hilltops of New Hampshire. Let freedom ring from the mighty mountains of New York. Let freedom ring from the heightening Alleghenies of Pennsylvania. Let freedom ring from the snow-capped Rockies of Colorado. Let freedom ring from the curvaceous slopes of California. But not only that: Let freedom ring from Stone Mountain of Georgia. Let freedom ring from Lookout Mountain of Tennessee. Let freedom ring from every hill and molehill of Mississippi. From every mountainside, let freedom ring."